
Critiques élèves
C'est la première fois que j'aime un roman historique.
Jusque ici , l'Histoire romancée ne m'avait jamais intéressée, sans doute parce que cela ne me semblait trop fantaisiste, ou au contraire parce que l'histoire montrait trop violemment la réalité de l'époque. Puis j'ai lu HhhH. Il ne s'agit pas d'un simple roman historique, car Laurent Binet s'est efforcé de ne rien inventer, chaque anecdote et chaque dialogue ont vraiment existé. Cela montre à quel point il s'est investi dans son livre. L'auteur, en plus de cela, nous montre comment il a fait ses recherches et la façon dont lui et ses proches ont appréhendé ce roman. La chronologie a beaucoup d'impact, car le présent est lié au passé de la Seconde Guerre mondiale : nous suivons en temps réel la vie des personnages comme Heydrich, Gabčík ou Kubiš, mais aussi celle de l'auteur et de ses recherches. Le lien est tellement proche, que les deux époques se mêlent et que Binet s'immisce dans son propre récit sans pour autant perturber l'histoire.
C'est cette aisance dans l'écriture que j’ai trouvé le plus remarquable.
Alors que la Seconde Guerre mondiale était pour moi une période trop sombre et que je n'avais pas vraiment en vie de lire ce livre, je me suis retrouvée à le lire d'une traite tellement chacun des personnages m'avaient attirée. Je tenais absolument à savoir comment Heydrich était devenu si puissant ou si les protagonistes allaient réussir leur attentat même si je connaissais déjà la fin. Aucun passage n'est lassant pour le lecteur.
Un des seuls défauts de ce livre serait peut-être son trop d’exhaustivité. En effet , même si chaque anecdote est intéressante et qu'elles ont toutes un lien, direct ou indirect avec les événements, le fait qu'elles interrompent souvent le fil du récit peuvent conduire le lecteur à se perdre dans l'histoire.
Il m'est arrivé de reprendre quelques pages en arrière pour me souvenir du moment où le récit s'était arrêté. Mais ce que j'ai aimé par dessus tout dans l'histoire, c'est que malgré le fait que rien ne soit inventé, cela ne ressemble pas à un documentaire historique mais bien à un roman, avec une tension, du suspense et un style d'écriture captivant.
C'est pour ces raisons qu'HhhH fait partie d'un de mes romans préférés.
Rachel
«Enfin, à l'autre bout de la chaîne, les petites mains de la Résistance, ces gens comme vous et moi à ceci près qu'ils acceptent de risquer leur vie en cachant des gens, stockant du matériel, portant des messages, forment une armée des ombres tchèque, non négligeable, sur laquelle ont peut encore compter. Gabčík et Kubiš ne sont que deux pour remplir leur mission, mais en fait, ils ne sont pas seuls.» (p. 247-248)
Bien que j’ai eu du mal à trouver la motivation pour commencer HHhH, et que les premières pages ne m’aient pas grandement aidé a en trouver pour lire la suite, j’ai vite pris beaucoup de plaisir a lire ce livre.
Certes, la première partie peut paraître légèrement ennuyeuse par moment, mais elle n’en est pas moins très intéressante, et nous en apprend beaucoup sur les démarches et les recherches de l’auteur sur l’opération Anthropoïde et son contexte historique. La 2e partie est l’aboutissement très réussi de cette œuvre : 350 pages pour un dénouement dont je ne suis pas déçu un seul instant, plein de rebondissements, ou Laurent Binet raconte un fait historique héroïque a la manière d’un roman d’aventures. En effet, tout au long de HHhH, l’écrivain se questionne sur la manière d’écrire l’Histoire : faut-il privilégier les faits historiques ou laisser place a la fiction, afin de donner a l’œuvre une dimension plus « émotionnelle » et personnelle ? Bien que le premier soit beaucoup plus présent, on peut constater que, au fur et à mesure que l’on avance dans l’histoire, l’auteur qui au départ s’inquiétait de trop romancer (en nous en faisant largement part) finit par ne plus s’en soucier, et le fait de plus en plus régulièrement.
Un passage, qui peut paraître anodin pour certains, m’a beaucoup marqué. Il est situé au chapitre 19. C’est le suivant : « -Vois-tu cette caisse en bois, Ata ? Les Boches pourraient la battre jusqu’à ce qu’elle commence à parler. Mais toi, dans un cas pareil, tu ne dois rien dire, rien, tu comprends ? » Ces trois phrases, à elles seules, traduisent toute la détermination des deux « terroristes » chargés d’assassiner Heydrich, ainsi que toutes les conséquences qui découleront de cet attentat. Je trouve que ce passage répond en partie au questionnement de Laurent Binet : en effet, l’auteur précise que une très grande partie des dialogues étaient inventés. Celui ci, fictionnel donc, a une grande utilité dans la trame du roman, ce que confirme l’écrivain : « Cela, par contre, n’est pas une réplique inutile dans l’économie narrative de cette histoire. ».
Faudrait il donc privilégier la fiction ? A chacun d’en décider.
Pour conclure, on peut dire que Laurent Binet nous livre ici un livre surprenant, très original, qui nous raconte un attentat qui a marqué l’histoire, et que j’ai découvert ici avec plaisir. A côté de cela, il nous invite à nous poser des questions avec lui sur la manière d’écrire l’Histoire, et tout cela avec une écriture efficace et fluide. Très belle œuvre que je conseille a tous.
Romain
Qu’est-ce que la littérature ? Je me suis beaucoup posée la question.
Ce n’est pas ça qui fera avancer le monde mais ma lecture de HHhH me pousse à m’interroger. Sur Wikipédia ils disent que le mot littérature, issu du latin littera (la lettre), a pour sens « chose écrite » et qu’on le définit aujourd’hui comme l’ensemble des œuvres écrites ou orales comportant une dimension esthétique. Une dimension esthétique ? Cela correspond-t-il à ce que Laurent Binet recherche dans son livre HHhH ?
Je crois personnellement qu’il adhérerait plus à la vision de Yasmina Khadra :
« La littérature m'a appris que la vérité ne se négocie pas. ».
Alors la littérature doit-elle toujours être le témoin de la réalité ? Dans HHhH - titre qui revêt déjà une certaine poésie et un caractère mystérieux - l’agrégé de Lettres s’attache aux faits. On démêle la vérité des histoires populaires concernant l’opération « Anthropoïde », c’est à dire l’assassinat du chef militaire nazi, Heydrich, « le bourreau de Prague ». La passion de l’auteur pour ce qu’il écrit nous transporte immédiatement dans l’histoire, l’histoire avec un h minuscule. Il n’est, en effet, ici question que de détails glanés au fil de sources toutes plus variées les unes que les autres. Des choses qu’aucun écolier ne peut lire dans un manuel d’Histoire.
On pourrait s’endormir durant les cent premières pages ; il n’y a pas d’actions, que des réalités historiques concernant la Slovaquie, Heydrich et ceux qui l’ont connu, Hitler, la Tchéquie, Chamberlain ou l’Allemagne. Les guerres, annexions, traités les plus connus sont considérés comme des acquis du lecteur et ne sont pas développés. Cependant quelque chose nous maintient en éveil, peut-être l’implication extrême de l’écrivain dans son œuvre qui selon ses dires « ne voulais pas faire un manuel d’histoire ».
Mais le livre ne prend pas pour autant une dimension anecdotique contraire au plus haut point aux souhaits de l’auteur. Ce dernier ne souhaite pas inventer une vie aux personnages morts depuis bien longtemps mais n’a pas le choix afin que son intrigue prenne vie. L’action monte en intensité et devient, à mes yeux, de plus en plus intéressante car les détails ne servent plus à la mise en place d’un cadre mais à l’accomplissement d’un acte de résistance aussi beau et courageux que dévastateur et dangereux. L’entreprise des deux héros tchèque et slovaque menant à la mort du chef de la Gestapo tient en quelques pages mais M. Binet fait durer, par un stratagème habile, le suspense. Les personnages prennent vie et sortent de pages en papier glacé. On ressent l’émotion de la plume qui crisse sur le papier (ou des doigts qui frappent sur les touches de l’ordinateur après tout je ne sais pas comment Laurent Binet écrit) : il laisse enfin place à la beauté de l’inventivité. Je ne vais pas non plus dès maintenant vous révéler la fin de l’intrigue mais vous pouvez vous doutez que la mort rime avec. Alors pour moi le gros de la question soulevée par ce livre n’est pas les conséquences de l’attentat commandité par Londres mais plutôt l’introspection d’un auteur qui cherche à tisser des liens entre fiction et réalité.
Pour tout vous dire cela le mine, le détruit de l’intérieur.
Il se sent coupable et nous le fait savoir, mais, il doit mener son entreprise de témoignage à bien nous révélant des temps sombres qui ont marqué le monde.
Pour en revenir à ma question de départ, il me semble que la littérature se nourrit du réel mais se doit d’innover sans quoi le lecteur de roman se retrouve déçu au cours d’une thèse. Mais le théoricien admet-il que la réalité soit malmenée ? C’est une interrogation bien complexe et peut anodine mais dans le fond pourquoi choisir ? Il existe en effet à la fois l’œuvre de fiction et le documentaire, le lecteur de classe moyenne et l’habitué des amphis.
Chacun pourrait donc trouver son compte sauf Laurent Binet
qui ne cesse de se poser comme un auteur tourmenté et original.
Maintenant son œuvre est-elle ennuyante ou haletante ? je vous conseille de juger par vous même.
Laetitia
HHhH est un livre que j’ai beaucoup apprécié, l’écriture de Laurent Binet ainsi que sa façon de penser m’ont beaucoup plu. Le sujet en lui-même est très intéressant.
À vrai dire, il y en a deux : l’histoire d’Heydrich « la bête blonde » de la Seconde Guerre Mondiale, « le bourreau de Prague » sous l’influence du Nazisme ; mais aussi celle de l’auteur, qui essaye en vain de relater les faits historiques sans les modifier, qui se renseigne jour après jour pour savoir si la Mercédès d’Heydrich était verte ou noire alors qu’au fond, quelle importance ? Lui-même décrit son roman « d’infra roman », chapitre 205 où je suis tout à fait d’accord avec lui dans la mesure où on a un récit dans un récit, une sorte de mise en abîme.
L’originalité de ce roman m’a interpellée et je suis contente de l’avoir lu.
Certains passages sont géniaux à lire, Laurent Binet nous laisse en suspens, nous fait vibrer, stresser, on s’inquiète pour les personnages, bien que dès le début, il nous dit ce qu’il va se passer à la fin, on est toujours surpris de ce qui arrive et on espère quelque part que cela ne va pas se terminer comme ça.
Les premiers chapitres du roman, par exemple, nous raconte des passages de la fin de l’histoire ce qui rend la compréhension de celle-ci quasiment impossible mais, après l’avoir lu en entier, à la relecture, on comprend tout. La fin du roman est vraiment la meilleure partie de celui-ci, on a le réel nœud de l’action, le cœur-même de l’intrigue qui m’a émue, angoissée, horrifiée aussi, puisque n’oublions pas que le Nazisme est une des périodes les plus affreuses de l’Histoire humaine, si on peut qualifier ça d’humain. Tous ces génocides, ces exterminations, ces hommes au service des forces armées qui ont suivi les ordres parfois involontairement, c’est-à-dire forcés par la Gestapo et le pouvoir Nazi mais parfois volontairement, comme Heydrich, ce qui rend la chose encore plus terrifiante.
Pour moi, le meilleur passage est celui où les parachutistes se battent dans la crypte, au chapitre 250. Ce passage est incroyablement bien écrit et m’a par ailleurs beaucoup touchée.
« Les quatre hommes n’ont pas besoin de se parler.
Gabčίk et son ami Valčίk échangent un sourire, j’en suis sûr, je les vois.
Ils savent qu’ils se sont bien battus.
Il est midi quand quatre détonations mates trouent le tumulte des armes qui cessent immédiatement. »
Eléonore